Dans les années 1960, il ne serait venu à l’idée de personne de ne pas fournir un ordinateur avec le logiciel nécessaire à l’exploiter. Ce fut le cas des grands ordinateurs ou mini-ordinateurs systématiquement livrés avec leur système d’exploitation, brique logicielle indispensable pour faire fonctionner le matériel. Ce logiciel était aussi souvent fourni avec les sources nécessaires à leur compréhension fine par les utilisateurs avertis. (J’ai commencé à travailler sur un Vax 750 sous Ultrix en 1987 qui était livrable avec les sources de l’Unix Berkeley sous-jacent).

 

La genèse du logiciel libre

logiciel libreAvec l’introduction du PC dans les années 1980, on a vu petit à petit se dessiner une séparation entre les acteurs du matériel (qui évoluaient vers de plus en plus de standardisation et une baisse des coûts) et ceux du logiciel, ces derniers devenant de plus en plus prépondérants par leur spécialisation ou leur domination hégémonique ne permettant plus au marché de jouer un rôle de régulation. On a vu ceci depuis lors au niveau du système d’exploitation avec MS-DOS puis MS-Windows (écrasant la compétition sous forme de DR-DOS ou Xenix) comme dans le domaine des bases de données par exemple avec Oracle (largement dominateur des Informix, Ingres, et autres acteurs de ce temps).

Et puis dans ces mouvements de balancier dont l’informatique est coutumière (centralisé/décentralisé, propriétaire/ouvert, client lourd/client léger, sur site/à distance…) est revenue l’idée de fournir des logiciels avec leur code source au milieu des années 1980 avec la création du projet GNU suivi rapidement en 1991 de la création de systèmes d’exploitation complets libres, Linux et FreeBSD.

 

Le succès du modèle de l’open source

Et en l’espace de 30 ans, ce modèle de logiciel libre et d’Open Source a « mangé le monde »(1) selon l’expression du créateur de Netscape, Marc Andressen. Là où la presse informatique traitait avec dédain le libre dans les années 1990 (2), il n’y a plus aujourd’hui de doute sur la capacité pour ces solutions de gérer l’Internet dans son ensemble (Le DNS est géré à 85% par du logiciel libre (3)), d’être le système de contrôle dans l’espace (l’ordinateur SpaceBorne de l’ISS utilise Linux (4), l’hélicoptère Ingeniosity sur Mars (5)) de piloter les 500 plus puissants ordinateurs du monde(6).

Les raisons de ce succès sont multiples, mais toutes proviennent de la disponibilité du code avec l’applicatif : cela permet de créer une communauté d’intérêt technique qui peut améliorer ce code, le porter sur des architectures matérielles différentes, lui permettre de passer à l’échelle, d’enseigner les bonnes pratiques grâce à ces exemples, d’y apporter des ajouts, de l’interfacer avec d’autres solutions… Et il est sûr que pour un technologiste chevronné, avoir accès à une telle base de logiciels que l’on peut gérer soi-même, installer, déployer et utiliser est idéal. D’autant qu’une fois son abonnement Internet payé, et le temps passé à être familier avec cet écosystème et ces logiciels, il n’y a pas de coût de licence et on se supporte soi-même en cas de problème rencontré.

 

Logiciel libre : quel coût pour un DSI ou un Directeur métier ?

Logiciel open sourceOn voit déjà que même pour ce type de population privilégiée techniquement, il y a un coût indirect : celui du temps passé pour contrôler ces logiciels libres. Cela se base sur la formation initiale et des dizaines d’heures passées à lire des documentations (libres également pour la plupart), consulter des articles de blog, lire du code, chercher son problème dans un système de suivi d’anomalie… Mais ce coût fait naturellement partie du travail du technologiste dans sa volonté de rester à niveau dans son domaine, et il n’est donc que rarement comptabilisé et valorisé. Pour lui, le logiciel libre est quasiment gratuit. J’estime avoir cette chance après 29 ans passés dans ce milieu.

Mais pour le DSI qui doit rendre son informatique productive auprès de ses utilisateurs, pour le responsable de direction métier qui doit utiliser l’informatique pour améliorer la productivité de ses équipes, cela semble un luxe lointain et inaccessible. Et à cette apparente complexité d’un monde du logiciel libre divers et fortement technique, ils préfèrent souvent le confort de solutions que tout le monde utilise, car on n’a jamais licencié quelqu’un pour sa conformité. Seulement, voilà, la conformité est en train de changer de camp, le logiciel libre devient, comme dit plus haut, plus la norme que l’exception, mais les compétences sont rares.

C’est ce qu’ont compris depuis longtemps les incubateurs du libre (7), ces sociétés qui se construisent pour développer, enrichir, contribuer à une ou plusieurs briques logicielles libres. Les plus connus aujourd’hui sont sûrement ceux fournissant une distribution Linux (agrégat d’un large ensemble cohérent de logiciels libres tournant sur un noyau Linux) tels que Red Hat, SUSE ou Canonical. Mais il en existe bien d’autres comme, en France, Combodo, Enalean ou Worteks pour n’en citer que trois que je trouve très respectueuses des valeurs du libre. Ces acteurs ont vite identifié que le modèle économique viable autour du libre ne pouvait reposer, pour simplifier, que sur la délivrance de services. Mais du service dans tous les domaines possibles. Ce qui correspond précisément aux interrogations de nos DSI et directeurs ci-dessus.

Car en effet, pour tirer profit du logiciel libre, ce qui implique un contrôle fort et fin sur son environnement informatique, il faut les compétences nécessaires, en codage, fabrication, encapsulation, administration système. Et soit l’entreprise qui souhaite ce contrôle les embauches ou les fait grandir, soit elle va les chercher là où elles se trouvent, chez ces incubateurs spécialisés, en acceptant d’en payer le prix. Mais le seul prix du service dont elle a besoin. Prix juste, puisque tout le monde ayant accès au code des logiciels en question la concurrence va faire en sorte qu’un prix moyen raisonnable va s’établir sur le marché. Et qui mieux qu’un incubateur ayant des contributeurs actifs dans un projet pour apporter la compétence maximale en support, en formation, en évolution, en hébergement, en greffon…

 

L’éditeur, un partenaire technologique indispensable

logiciel open sourceCes sociétés incubatrices permettent également à des clients d’avoir un contrat, sécurisant la relation commerciale, un partenariat technologique rendant l’utilisation des technologies libres plus fiable pour elles qui n’ont souvent pas les moyens d’avoir des ressources internes dédiées et enfin des gains financiers importants sur les licences qui disparaissent de l’équation (avec leur cohorte de prix au Cœur/Thread qui les rendent vite prohibitives) qui sont réinvestis en partie sur les services de toute façon indispensables à la mise en œuvre de solutions techniques avancées, qu’elles soient libres ou non.

De plus, ces partenaires à taille humaine et avec un souci de suivre la philosophie du libre ne peuvent par construction se retrouver en position hégémonique et auront toujours à cœur de se distinguer par leurs qualités de maîtrise technique et de haut niveau de service. Ceci a certes un prix (comme celui d’avoir une équipe dédiée sur le sujet), mais c’est un investissement que DSI et directeurs métier doivent être prêts à payer pour reprendre le contrôle de leur environnement informatique grâce aux solutions libres.

 

 

(1) Source : https://a16z.com/2011/08/20/why-software-is-eating-the-world/
(2) Source : https://fermigier.com/blog/1998/11/revue-presse
(3) Source : http://mydns.bboy.net./survey/
(4) Source : https://www.hpe.com/us/en/compute/hpc/supercomputing/spaceborne.html
(5) Source : https://www.zdnet.fr/actualites/video-vers-l-infini-et-au-dela-linux-et-l-open-source-sont-sur-mars-39918287.htm
(6)
Source : https://hpc.developpez.com/actu/266678/Linux-alimente-desormais-tous-les-500-meilleurs-supercalculateurs-du-monde-d-apres-le-TOP500-de-juin-2019/
(7)
Source : https://brunocornec.wordpress.com/2012/11/03/dont-call-them-floss-editors-but-rather-floss-incubators/

Plus de publications

Architecte en Technologies Open Source et Linux chez Hewlett Packard Enterprise

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